La Révolte des Angelets de la Terra : Une révolte nationale en Catalogne Nord
Introduction : Le cadre et l'importance de la révolte
Au XVIIe siècle, ce qui aurait pu être une simple insurrection antifiscale, comme tant d'autres, se transforma rapidement en une révolte pour préserver les droits et les libertés de la terre catalane. Le nom que se donnaient les insurgés était assez explicite : "els Angelets de la Terra". À cette époque, les Pyrénées catalanes avaient une importance stratégique durant tout le règne de Louis XIV. Il ne maintint pas le contrôle de cette nouvelle frontière en vertu du traité des Pyrénées, mais parce qu'il utilisa une force militaire et diplomatique supérieure à celle des Espagnols et réprima violemment les diverses tentatives de soulèvement catalan.
La révolte armée des Angelets de la Terra en défense des Constitutions catalanes et pour la réunification de la principauté de Catalogne, postérieure à l'infâme Traité des Pyrénées (1659), réussit à tenir en échec le tout-puissant Roi de France pendant plus de dix ans. Commandés dans le Vallespir par Josep de la Trinxeria, ils remportèrent de grandes victoires et écrivirent l'une des pages les plus héroïques et pleines de dignité de notre histoire.
Cependant, une fois de plus, nous sommes confrontés à des événements qui ne sont pas assez connus chez nous et, bien sûr, il y a aussi un manque alarmant de représentation iconique qui les maintienne présents comme un témoignage fier de l'ancestral esprit combatif de la nation catalane. De notre côté, il restera la tentative de restituer la mémoire de ces héros et de dénoncer ce manque de rigueur.
Partie 1 : Le Contexte Historique et les Causes de la Révolte
1.1. L'Annexion Française (1659)
Le 7 novembre 1659, suite à la guerre des Faucheurs (Segadors), les monarchies hispanique et française signèrent le Traité des Pyrénées, qui signifia le partage de la Catalogne entre les deux souverains. Ce traité a imposé une frontière qui annexe à la France le Roussillon, le Conflent, le Capcir et une partie de la Cerdagne. La résistance à l'occupation française de la Catalogne Nord commença dès mars 1661.
1.2. La Imposition de la Gabelle (1661) et la Trahison des Engagements
En juillet 1660, le Conseil Souverain du Roussillon est instauré, remplaçant la Diputació (Députation), confirmant en Catalogne Nord l'application officielle des Constitutions de la principauté de Catalogne que Louis XIV jura à Perpignan.
Cependant, les promesses sont rapidement brisées :
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Juin 1660 :Suppression de toutes les institutions et organismes officiels catalans.
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1661 :Imposition du monopole royal du sel, contraire aux Constitutions catalanes, impliquant la fermeture des salines locales et l'interdiction de transporter du sel d'autres salines de la Principauté.
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Novembre 1661 :Rétablissement de la gabelle (taxe sur le sel), impôt abolie par les Corts Catalanes depuis 1283.
 
Conséquences et impopularité :
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Cet argent devait servir à payer les troupes d'occupation et les fonctionnaires français, vus comme des "collaborateurs".
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Détournement des fonds au détriment de Perpignan, considéré comme une abjuration du serment royal.
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Protestations des consuls de Perpignan rejetées par le Conseil Souverain.
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Cet impôt frappe particulièrement le Vallespir, pays de pâturages dépendant du sel catalan moins cher.
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Début d'une contrebande intense et répression immédiate (exemple de Saint-Laurent-de-Cerdans en 1663 : 8 condamnations à mort, 51 aux galères).
 
Partie 2 : Le Déroulement des Révoltes
2.1. La Première Révolte (1667-1669) et le Compromis de Céret
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Origine :En 1667, les gabelous fouillent les maisons de Prats-de-Mollo et imposent des amendes. Josep de la Trinxeria, membre d'une famille notable, indigné, organise la résistance armée.
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Les Angelets :Une troupe de volontaires bien armés, aidés par les paysans, se baptise "Angelets de la Terra" (apparaissant et disparaissant comme des anges, ou en référence à Saint-Michel).
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Actions :La guérilla s'étend dans le Vallespir. Ils attaquent une auberge de gabelous à Amélie-les-Bains et assiègent un sous-viguier dans une église. Le siège de Céret en 1668 est un point culminant.
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Répression et échec français :Le président Sagarra mène une expédition punitive de 300 soldats, mise en déroute au pas del Llop.
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Succès et négociation :La guérilla, connaissant bien le terrain, harcèle efficacement les troupes françaises. Louis XIV, engagé dans la Guerre de Dévolution, pactise le 24 avril 1669 par le "Compromis de Céret" : amnistie générale, suppression des gabelous et vente de sel à prix réduit.
 
2.2. La Seconde Révolte (1670-1675) et l'Écrasement
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Relaîment :En 1669, Joan Miquel Mestre ("l'Hereu Just") exige le même traitement pour le Conflent. Son arrestation en janvier 1670 déclenche une nouvelle révolte.
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Escalade :La révolte devient plus cruelle. Les Angelets s'emparent d'Arles (tuant le maire) et assiègent Céret une seconde fois avec 1500 hommes.
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La défaite décisive :La France envoie une armée de 4 000 soldats qui prend le Vallespir à revers par les montagnes. Le 5 mai 1670, les Angelets sont défaits au col de la Regina, leur technique de guérilla étant inefficace en bataille rangée.
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Répression exemplaire :Maisons et murailles de Prats-de-Mollo et Serralongue sont démolies. De lourdes amendes sont imposées à seize villages.
 
2.3. La Lutte dans le Contexte de la Guerre de Hollande (1672-1678) et les Complots
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Collaboration avec l'Espagne :La lutte prend un caractère antifrançais assumé. Les Angelets collaborent avec la monarchie hispanique.
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Le Complot de Villefranche (1674) :Visant à une réunification avec la Principauté de Catalogne lors du Samedi Saint 1674. La conspiration est découverte.
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Répression Terrible :
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Le chef Manuel Descatllar est torturé, exécuté et sa tête exposée.
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Francesc Puig i Terrats est égorgé en public et son corps démembré.
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Les têtes des chefs Angelets sont exposées dans des cages de fer pendant 30 ans.
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Spoliation des biens des accusés. Le village de Py est rasé et du sel est semé sur ses ruines.
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Purge sociale : exils (plus de 200 personnes) et exécutions (une centaine).
 
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Derniers soubresauts :Les troupes espagnoles prennent le Fort de Bellegarde et contrôlent une partie de la Catalogne Nord (1674) avant d'en être chassées en 1675. La révolte est considérée comme terminée cette année-là. Les haines et le coût de la répression sont tels que Louis XIV tente d'échanger les Comtés nord-catalans contre la Flandre, sans succès.
 
Partie 3 : Analyse, Mémoire et Débats Historiographiques
3.1. Qui étaient les Angelets ? Organisation et Soutien Populaire
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Origine sociale :Paysans, muletiers (premiers affectés), travailleurs des forges ("clavataires", un groupe cohérent qui prit le leadership), quelques nobles, femmes (soutien passif), enfants et adolescents (espionnage).
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Organisation et tactique :Corps armé organisé techniquement, suivant les systèmes d'autodéfense du pays (sometents, miquelets). Excellente connaissance du terrain, armement léger, grande mobilité. Cri de ralliement : « Via fora lladres i gavatxs! » (« Dehors les voleurs et les gabelous ! ») et « Visca la Terra » (« Vive la Terre »).
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Soutien populaire :La bienveillance et la complicité des populations représentaient un soutien passif crucial. Sans ce soutien actif et passif, leur longévité n'aurait pas été possible.
 
3.2. Le Débat : Révolte Antifiscale ou Nationale ?
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Une interprétation évolutive :Le début du mouvement est une réaction à une décision politico-fiscale. Mais avec le temps et l'implication d'acteurs divers, l'interprétation de la révolte évolue.
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Une "nation fragmentée" :La solidarité ne fut pas générale. Il s'agissait d'une consolidation du sentiment identitaire par zones affectées, une "contre-identité" face à l'agression française prolongée.
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Un choix politique :La révolte devient une décision politique d'identité nationale, une préférence pour la monarchie hispanique face à l'impossibilité de l'auto-affirmation.
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La perception française :Pour la France, cette révolte était plus qu'antifiscale ; elle représentait un danger sécessionniste, un "pont pour l'invasion de l'ennemi". Cela explique l'envoi de grands contingents militaires et la méfiance durable des autorités.
 
3.3. La Mémoire, l'Oubli et la Représentation
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Une histoire oubliée :Ces faits sont absents des manuels scolaires et presque inconnus de l'historiographie française.
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La récupération historique :Philippe Torreilles a redécouvert cette histoire au début du XXe siècle.
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La représentation iconographique erronée :Le portrait de Josep de la Trinxeria, peint en 1726, le montre vêtu à la mode de 1726, et non de son époque, ce qui est typique des portraits familiaux posthumes et démontre un manque de rigueur.
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Appel à la mémoire :Il serait "impardonnable" que ces héros, derniers défenseurs des libertés catalanes en Catalogne Nord, tombent dans l'oubli.
 
3.4. Portrait et Postérité de Josep de la Trinxeria
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Le chef charismatique :Membre d'une famille bourgeoise de Prats-de-Mollo, il consacra sa vie à la réunification. Il jouissait d'un grand prestige et fut l'un des promoteurs du complot de Villefranche.
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Fin tragique :Il mourut au combat en 1689 lors d'une incursion depuis sa base d'Olot, où il était réfugié. Il avait reçu une patente de colonel de Miquelets de l'Espagne.
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Restitution rigoureuse de son apparence :Basée sur une description de 1673 : habit de drap foncé avec un galon d'argent, chapeau à la française, cheveux longs, moustache retroussée.
 
    
                                
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