Imaginons la scène suivante : Nous sommes à la fin du IXème siècle et « Guifred le Velu (840-897), comte de Barcelone, agonise, mortellement blessé. Le comte et ses chevaliers barcelonais se sont battus vaillamment à côté l’Empereur carolingien pour repousser les Normands. S’approche l’empereur de la couche du comte, et pour le remercier de son aide, trempe sa main dans le sang qui jaillit de sa blessure et passe les quatre doigts ensanglantés sur le bouclier d’or de Guifred. A partir de ce moment-là les comtes de Barcelone arborent les armoiries avec les quatre barres rouge sang sur fond doré. »
Il y a beaucoup de versions différentes de la légende, qui apparait en fait seulement au XVIème siècle à Valence. Elle a été ensuite embellie, dramatisée et mise en scène par les écrivains de la Renaixença lors du réveil de la littérature catalane à l’époque du romantisme.
Ainsi parlent Guifred le Velu et l’Empereur dans le poème de Jacint Verdaguer la « Légende de Montserrat » :
« Je ne me plains pas de mes blessures, mais je me plains de mon honneur, parce qu’au champ de bataille mon bouclier ne porte pas de fleurs ».
« Si ton bouclier est vide, ta poitrine est rouge ». Et il mit ces doigts dans la blessure, et il les passa par le bouclier d’or.
Et si le comte pleurait déjà, et pleurait encore plus fort, mais ses larmes de douleur sont déjà larmes de joie.
« Grand merci, roi de France, grand merci l’Empereur… »
Cette légende émouvante et chevaleresque n’est pas historique, mais elle est un élément central et très populaire dans l’imaginaire national catalan.
Cela dit, comme toutes les légendes elle a un noyau historique symbolique. Elle met en scène un personnage clé de l’histoire de Catalogne, le compte de Barcelone, Guifred le Velu – né dans le Conflent – et un empereur carolingien. Elle souligne de cette manière la relation bien historiques entre les comtés catalans, Urgell, Cerdagne, Roussillon, Barcelone, et autres avec l’Empire.
Le blason des quatre barres sur fond d’or – le blason des comtes de Barcelone - est un des plus anciens d’Europa. Il a été transmis à beaucoup de villes et localités de la Principauté de Catalogne, à des territoires et villes d’Occitanie, du règne d’Aragon, de Majorque, de Valence et de Sicile.
Il apparait en fait pour la première fois dans le sceau de Raimond-Bérenger IV (1131-1162), comte de Barcelone, de Gérone, d’Osona et de Cerdagne. Le sceau est conservé aux archives départementales de Marseille.
Ce blason est intimement lié à la naissance de la Catalogne qui surgit de l’ensemble des comtés des Pyrénées et qui s’indépendantisent peu à peu de l’Empire.
Avec l’occupation violente des territoires de la couronne catalano-aragonaise entre 1707-1717 par le bourbon Phillipe V pendant la guerre des Successions - qui annonce la répression implacable de l’Etat espagnol contre les institutions et la culture catalanes, ce blason disparaît des pays catalans et de l’Aragon et sera remplacé par les armoiries de Castille et des Bourbons, le château, le lion et la fleur de lis.
C’est seulement avec la « Renaixença » du XIX siècle que le mouvement du renouveau de la culture catalane se saisi de ce symbole historique et il réapparait aves force à nouveau dans l’architecture, l’art, la littérature et dans l’imagerie autour de l’idée de la nation catalane. Depuis la mort du dictateur Franco ce symbole fort retrouve sa place dans le symbolisme héraldique des Pays catalans.
Michel Leiberich, professeur d'Université (Palau del Vidre)