Quand on sort d’une visite de la cathédrale de Vic où on peut admirer les étranges peintures de Josep Maria Sert on est frappé par une statue moderne qui représente, rigide et sévère, un abbé o un évêque qui porte sur sa poitrine l’inscription « Pau i Treva ». Sur le socle on peut lire : Oliba bisbe de Vic abat de Ripoll i de Cuixà 971-1046.
Oliba de Cerdagne, né à Besalú ou à Cornellà de Conflent en 971 et mort le 30 octobre 1046 à Sant Miquel de Cuixà, comte de Ripoll et Berga, évêque de Vic et abbé de Ripoll et de Sant Miquel de Cuixà est un personnage important et emblématique de l’histoire catalane.
Les livres d’histoire nous disent que sa vie se déroulait dans l’espace des comtés catalans qui se situaient dans les Pyrénées entre le monde musulman d’El Andalus au Sud et l’Empire Carolingien au Nord. Ces comtés avaient des liens dynastiques avec l’Empire, mais devenaient progressivement souverains et se dotaient de structures propres.
L’abbé Oliba, issu d’une famille comtale - Guifré el Pilós était son arrière-grand-père - participait activement à la structuration de cet espace de langue catalane en favorisant un ordre politique, ecclésiastique et artistique singulier.
Est-il le « père de la patrie catalane » comme l’affirme l’historiographie du XIX° et XX° siècles ? Difficile à dire, car les concepts de « patrie, peuple et nation » n’apparaissent que 800 ans plus tard, et Oliba, préoccupé par la position géostratégique des comtés et l’évolution inquiétante des forces dominantes présentes, était loin de s’imaginer une Catalogne comme nous la connaissons aujourd’hui. Cela dit, les comtés catalans entrent à ce moment-là peu à peu dans une évolution qui aboutira des siècles plus tard à la formation d’un peuple et d’une nation.
Dès sa nomination comme abbé de Ripoll i de Sant Miquel de Cuixà Oliba entreprend la reconstruction spirituelle et matérielle de ces deux pôles ecclésiastiques. Parallèlement il initie une réforme de l’esprit monastique dans les comtés et fond de nouveaux monastères, comme par exemple l’emblématique Montserrat en 1023 et Sant Miquel de Fluvià en 1045.
En 1018, il est nommé évêque de Vic, très vraisemblablement avec l’appui de la comtesse de Barcelone, Ermessenda de Carcassona, avec laquelle il partageait le même idéaux et les mêmes intérêts politiques. En tout cas, il sera toute sa vie son allié fidèle. A partir du moment où il devient évêque il cumule fonctions ecclésiastiques et politiques, ce qui augmente considérablement son pouvoir et son influence dans les comtés.
Oliva avait une vision très particulière de la société et de l’ordre politique européens. Il était attaché d’une part à l’idée de l’Empire – avec lequel les comtés essayaient de rompre politiquement, sans le faire émotionnellement – et d’autre part à l’idée d’une église active et entreprenante, bien présente dans les affaires des Etats. Son idéal était une société basé sur la paix où les propriétaires des terres – les paysans - et les ecclésiastiques ne devaient pas craindre de perdre leurs bases de subsistance, voire leur richesse. Selon Oliba il fallait maintenir un équilibre de pouvoir entre comtes et ecclésiastiques, car il se méfiait de la multiplication de châteaux forts tenus par une aristocratie guerrière qui avaient une vision politique diamétralement opposée à la sienne : une société basée sur la guerre et le servage des paysans. Une vision qui – malheureusement pour Oliba - s’imposait progressivement dans la société féodale.
Dans ce sens Oliba impulse les assemblées « Pau i Treva de Déu ». La première se réunit en 1027 sous sa présidence à Toluges au Rosselló. Ces assemblées étaient censé protéger les propriétaires de terres libres, mais aussi le clergé, des exactions de la noblesse. Les paysans, par exemple, obtiennent la possibilité de saisir les tribunaux ecclésiastique quand ils avaient des problèmes légaux. Les assemblés fixaient aussi des jours où les batailles étaient interdits.
D’autres assemblées de ce type auront lieu ailleurs, par exemple à Vic et leur succès dépasse rapidement les frontières des comtés et se multiplient en Europe.
Cela dit, ces initiatives qui voulait maintenir un certain ordre basé sur l’équilibre entre contés et église dans un Empire de plus en plus virtuel n’arrivaient pas à freiner à long terme le nouvel ordre guerrier de la noblesse féodale.
L’utopie d’une société de paix, chère à Oliba et Ermessenda de Carcassona ne se réalisera pas, mais leurs idées basées sur un certain « pactisme » dans la paix pour maintenir un système de création de richesses ne disparaitra pas de l’histoire catalane. C’est pour cette raison que certain historiens établissent une relation entre les assemblées de « Pau i Treva » et la future création d’une Généralité basée sur des valeurs analogues.
Un autre domaine qui a fait la renommée d’Oliba est l’architecture. L’art roman catalan est présent sur tout le territoire des comtés, notamment à Ripoll et à Sant Miquel de Cuixà dans le Conflent.
Evidemment ce n’est pas lui qui invente ce style, qui est un style européen avec des variantes locales, mais il impulse un mouvement important d’agrandissement et de restauration d’églises et de monastères anciens, où les architectes appliquent ce nouveau style avec ses exigences liturgiques et implications spirituelles. Dans l’esprit d’Oliva ce « réseaux » d’églises et de monastères était censé contrebalancer le réseau des châteaux forts des nobles en plein essor.
1000 ans nous séparent du monde d’Oliba, mais nous pouvons toujours admirer les vestiges comme Sant Miquel de Cuixà dans le Conflent, Ripoll dans le Ripollès et le fameux Montserrat qui sont la preuve que nous vivons tous dans un même espace culturel, linguistique et historique, même si la Catalogne a été coupée politiquement en deux.
Un livre intéressant vient d’être publié par la revue « L’Avenç » : Jordi Tomàs, « Cuixà, exili i refugi. Un testimoni al peu del Canigó (1965-1985) ». Le livre raconte l’histoire de huit moines expulsés à l’époque franquiste de Montserrat qui se réfugient à Cuixà. C’est seulement un exemple qui montre que des relations créées à l’époque d’Oliba sont encore visibles.
Michel Leiberich, professeur d'Université (Palau del Vidre)