La révolte des Angelets : une révolte antifiscale et nationale en Catalogne Nord
Au XVIIe siècle, ce qui aurait pu être un simple soulèvement antifiscal, comme tant d’autres, devint rapidement une révolte pour conserver les droits et les libertés de la terre catalane. Le nom que se donnèrent les insurgés était suffisamment explicite : « els Angelets de la Terra ».
A cette époque, les Pyrénées catalanes ont une importance stratégique tout au long du règne de Louis XIV. Il ne garda pas le contrôle de cette nouvelle frontière en vertu du traité des Pyrénées, mais parce qu’il se dota pour ce faire de moyens militaires et diplomatiques supérieurs à ceux des Espagnols, et qu’il réprima violemment les différentes tentatives de soulèvement catalanes.
Les Angelets de la Terra sont les paysans Nord-Catalans qui se sont soulevés de 1667 à 1675 contre les autorités françaises après l'annexion de la Catalogne (du) Nord par la France en 1659. L’ensemble des troubles de la période est englobé sous le nom de révolte des Angelets ou "Guerra de la Sal" (guerre du sel).
La cause en est l’instauration en 1661 de la gabelle (impôt sur le sel), mesure contraire aux constitutions traditionnelles catalanes que Louis XIV, roi de France, s'était engagé à respecté deux ans plus tôt lors de la ratification du Traité des Pyrénées.
La révolte concerne tout d’abord la comarque du Vallespir, puis gagne celles de Conflent et de Roussillon.
Les révoltés se sont surnommés les Angelets en raison de leur faculté à apparaître et à disparaître dans les montagnes qu'ils connaissaient parfaitement. Ils réclament les libertés catalanes au cri patriotique de « Visca la terra! » (vive la terre).
Contexte
La Guerre des Segadors (des faucheurs) prend fin en 1652 et débouche sur la signature du Traité des Pyrénées le 7 novembre 1659 entre les monarchies espagnole et française. L’accord prévoit notamment un partage de la Catalogne entre les deux souverains. La couronne de France annexe cinq comarques catalanes:
le Roussillon ;
le Vallespir ;
le Conflent ;
le Capcir ;
la Haute Cerdagne.
Louis XIV s’engage à respecter les coutumes locales. Mais, dès juin 1660, il remplace les institutions et organismes catalans par ses propres structures politiques, judiciaires et fiscales. Il crée le Conseil Souverain du Roussillon à Perpignan, représentant le pouvoir central comme c'est le cas pour la Préfecture de nos jours. Puis, il nomme un intendant.
La gabelle
L’impôt sur le sel était aboli par les tribunaux catalans depuis le temps du roi Jacques II de Majorque, en 1283. En 1661, les Français le rétablissent pour financer leurs constructions militaires et le traitement des fonctionnaires français comme les soldats ou autres collecteurs d'impôts. La mesure est très impopulaire. Le détournement par le roi de France du montant de cet impôt — au détriment de Perpignan, qui n’en encaisse qu’une part insignifiante — est considéré comme une abjuration du serment royal de respecter les privilèges de la capitale de la comarque de Roussillon. Les consuls de Perpignan protestent. Mais une décision du Conseil Souverain rejette la réclamation municipale, et impose la volonté du pouvoir royal.
En Vallespir, pays de pâtures, le sel est nécessaire à l’alimentation du bétail et à la conservation de la viande. Les habitants le font venir de l’autre côté de la toute nouvelle frontière. La taxe de la gabelle en fait monter démesurément le prix. En 1667, les paysans du Vallespir refusent de la payer.
La première révolte (1667-1668)
La contrebande s’organise. Les contrôleurs et les soldats traquent les trafiquants, pour tenter de mettre fin à cette activité. Les paysans réagissent, se transformant en véritables guérilleros, harcelant les soldats français et surtout les fonctionnaires de la gabelle appelés les gabelous. Une résistance armée s’organise, sous la conduite de Josep de la Trinxeria, un paysan d'une grande famille de Prats-de-Mollo.
Les insurgés se répandent dans la comarque du Vallespir. En 1667, ils se cachent surtout dans les villages de Serralongue et de Montferrer. L'année suivante, ils attaquent une auberge d'Amélie-les-Bains, où logent les "gabellots" (gabelous). Ils assiègent le sous-viguier Manel dans l'église de Saint-Laurent-de-Cerdans. La répression ne tarde pas : huit habitants sont condamnés à mort, et 51 aux galères à perpétuité. Ce qui ne décourage nullement les faux-sauniers (personne qui faisait la contrebande du sel).
Le président du Conseil Souverain, Francesc de Segarra, offre une récompense de 100 doublons d'or à qui dénoncera les chefs des Angelets. Le 14 septembre 1668, il part avec 300 soldats se baser à Arles, afin d’engager une dure répression. L’expédition punitive est mise en déroute au pas del Llop et doit se replier sur Arles.
Plusieurs années durant, connaissant bien le terrain, les révoltés infligent des pertes conséquentes aux troupes françaises. Du 3 août 1667 au 30 juin 1668, ils poursuivent et éliminent également un bon nombre de percepteurs du sel.
Les autorités se résignent à négocier. La lutte armée cesse et, en échange, les communes du Vallespir peuvent se procurer du sel de contrebande. Par le « compromis de Céret », les gabelous s’engagent à mettre fin aux contrôles et à s’entendre avec le conseil de chaque village, qui est chargé désormais de la distribution du sel aux habitants.
C'est la seule image de Josep de la Trinxeria qui est conservée. Huile réalisée sur commande, avec une autre de son fils Blai, en 1726. Tout porte à croire qu'elle a été commandée par lui. (Musée Can Trincheria, Olot)
La seconde révolte (1670-1675)
En 1669, en Conflent, Joan Miquel Mestre, dit l'Hereu Just, exige un semblable arrangement pour Baillestavy. De septembre à novembre, il reprend la traque des gabelous. C’est à ce moment-là que les révoltés sont désignés sous le nom d’« angelets ». Mestre est arrêté par hasard sur la route de Camprodon1, le 22 janvier 1670, par le gouverneur de Prats-de-Mollo. Ce qui déclenche une révolte des habitants, menés par Josep de la Trinxeria et son lieutenant Damià Nohell, fils du maire de Serralongue. Ils prennent en otage la femme et les enfants du gouverneur, et négocient leur libération contre celle du Juste Héritier. L’échange effectué, les angelets redescendent le Tech, voyant leur troupe grossir jusqu’à 1 500 hommes.
À ce moment, la révolte non seulement reprend, mais se durcit considérablement. Les combats s’étendent à tout le Vallespir : le 27 février 1670, les insurgés s'emparent d'Arles, dont ils chassent la garnison et tuent le maire. Du 31 mars au 2 avril, ils assiègent Céret, capitale du Vallespir.
Les Angelets tiennent la haute vallée du Tech et le Conflent. C’est alors que les Français envoient une armée de 4 000 soldats. Évitant d’offrir une cible facile sur la route de la vallée, ils progressent par les montagnes du Haut Conflent qui séparent les deux comarques, afin de prendre le Vallespir à revers. La technique de guérilla ne permet pas de soutenir une bataille rangée, en terrain découvert, face à une armée complète : le 5 mai, les angelets sont défaits au coll de la Regina, au pied du pla Guillem. Certains se réfugient dans la principauté de Catalogne, d’autres se cachent dans les montagnes. Dernier bastion des angelets avant la défaite, le village de Py est condamné à être rasé. Du sel doit être répandu sur ses ruines.
Débuts de la guerre de Hollande
Les hostilités sont ravivées par la guerre de Hollande (1672-1678), dont la frontière espagnole devient un des théâtres. La lutte de la population prend alors un caractère de soulèvement antifrançais. Les angelets collaborent avec la monarchie espagnole (1673).
Le village et l’église d’Ayguatébia sont incendiés par les troupes françaises le 7 février 1673.
L’année 1674 est particulièrement difficile pour les Français, dans la province de Roussillon. Ils vont devoir faire face à des conspirations (Villefranche et Perpignan) et à une entrée des troupes espagnoles.
Conspiration de Villefranche
Les angelets sont impliqués dans la conspiration de Villefranche, qui vise à réunir les Comtés à la principauté de Catalogne, le « samedi de gloire » de 1674.
La conspiration est découverte. Son chef, Manuel Descatllar, est arrêté. Il est transféré à Perpignan où, sous une terrible torture, il reconnaît tous ses agissements. Il est exécuté sur la place de la Loge le 20 avril 1674. Quant à son compagnon Francesc Puig i Terrats, il est condamné à mort et égorgé en public, devant sa propre maison, le 16 mai. Son corps est dépecé. Les quatre parties en sont exhibées en quatre points de la ville. Beaucoup d’autres conjurés payent leur engagement de la perte de leurs droits civiques et patrimoniaux.
Répression et fin de la révolte
La population s’agite toujours. Les troupes du roi d’Espagne franchissent la frontière et prennent le fort de Bellegarde (début de 1674). Elles contrôlent une grande partie de la province (Cerdagne et Vallespir, une partie du Roussillon et du Conflent). Ce n’est qu’en 1675 que le comte de Schomberg reprend Bellegarde et les chasse définitivement5.
La région est maintenant envahie par les troupes françaises. La répression atteint toute la population : emprisonnements, condamnations aux galères, exécutions, confiscations de biens, lourdes amendes infligées aux communes (celle de Prats-de-Mollo est de 3 500 livres, celle de Saint-Laurent de 1 600 livres...)
La révolte des angelets est considérée comme finie en 1675.
Les haines sont tellement exacerbées, le coût de la répression est si élevé que Louis XIV tente d’échanger les Comtés contre la Flandre. Mais Charles II refuse.
La révolte s’étant complètement éteinte, le roi de France renonce à cet échange lors des négociations du traité de Nimègue, qui met fin, en 1678, à la guerre de Hollande.