Jean-Louis PRAT (1944-2021): philosophe et défenseur de la langue et de la culture catalanes
(14-04-2022)
Né le 31 janvier 1944 à Perpignan (Pyrénées-Orientales), mort le 11 mars 2021 à Elne (Pyrénées-Orientales), professeur agrégé de philosophie, titulaire du DEA d’études catalanes ; militant de la Ligue communiste (LC/LCR) à Toulon puis à Perpignan de 1970 à 1976 ; membre du groupe départemental de l’École Émancipée du Var puis des Pyrénées-Orientales ; défenseur passionné de la langue et de la culture catalanes. L’honnêteté intellectuelle n’est pas donnée à tout le monde. Jean-Louis Prat en avait fait sa règle de vie.
Il nous reste, pour nous inspirer de ce grand penseur français et catalan, son blog (jeanlouisprat.over-blog.com) dont la grande richesse de réflexions dépasse le cadre de la philosophie. Une somme de 247 articles résumant toute une vie de réflexion. Jean-Louis Prat a fait de son blog, commencé en 2009, le dépositaire de ses multiples champs d’études, avec, certes, une prédilection pour les philosophes, d’Épicure à Sartre, mais ne se privant pas d’analyser avec le même esprit critique des personnages de romans comme Scarlett O’Hara ou Sherlock Holmes, des problématiques actuelles telles que l’indépendance de la Catalogne, l’extrême droite à Perpignan ou la gestion de la pandémie par le gouvernement. S’il admire Castoriadis, Merleau-Ponty et Jean-François Revel, il ne les épargne pas pour autant, même s’il décoche plutôt ses flèches sur « le juge » Michel Onfray. Joan Lluís Prat al programa Memòria.
Jean-Louis Prat naquit à Perpignan (Pyrénées-Orientales), mais il passa son enfance à Elne, petite ville des Pyrénées-Orientales, dans laquelle il décéda. Sa mère, Edmée, Jeanne Prat (13 février 1921-16 juillet 2004) lui donna son patronyme et l’éleva avec le fils de son nouveau compagnon, un cheminot. Jean-Louis Prat fut scolarisé à l’école primaire publique d’Elne. Sa mère appartenant à une famille traditionaliste, il reçut une éducation religieuse sérieuse. Ayant perdu la foi à la fin de son adolescence, il conserva une culture religieuse importante, féru de connaissances théologiques. Il a confié à Daniel Guerrier et à Serge Latouche d’avoir continué à aller à la messe le dimanche jusque jusqu’en 1967, donc jusqu’à 23 ans.
Au moment de son adolescence, sa mère lui révéla l’identité de son père, Josep [José] Mechó Almela, un militant communiste, membre du PSUC (Parti socialiste unifié de Catalogne, communiste). Né à Valence (Espagne) le 27 juin 1919, électricien, Mechó arriva en France au printemps 1939, après la défaite des républicains espagnols devant les troupes de Franco. On ignore son grade dans l’Armée populaire de la République espagnole. Il séjourna dans un premier temps au camp d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), puis fut versé à partir du 7 janvier 1940 dans la 41e compagnie de travailleurs étrangers (CTE), affecté à la garde de l’important parc automobile ramené par les républicains espagnols, lors de la Retirada, au Champ de Mars de Perpignan. Ensuite, il travailla aux mines de fer de Fillols, dans le Conflent (Pyrénées-Orientales), au sein d’un groupement de travailleurs étrangers (GTE). C’est dans ces circonstances qu’il eut une liaison avec cette jeune fille d’Elne et qu’ils eurent un fils, Jean-Louis. Son père ne l’a pas connu, car peu avant sa naissance, il était parti pour une mission clandestine à Barcelone, d’où il ne revint jamais. Son père avait participé à l’action de l’AGE (Première brigade, des Pyrénées-Orientales, de l’Agrupación de guerrilleros espa֤֤ñoles (AGE), groupe armé du Parti communiste d’Espagne, en France, sous l’occupation allemande) en Conflent, en particulier au sein de la filière de passage vers l’Espagne « Ajax » (Gual et Larrieu, op. cit.). Il semble qu’une fois devenu adulte, et assez tardivement, Jean-Louis Prat ait eu des contacts avec des membres de la famille de son père à Barcelone (rencontre avec son grand-père paternel à Barcelone) et/ou à Valence (conversation téléphonique avec son père, fuyant et semblant ne se rappeler de rien).
Brillant élève, il fit ses études secondaires au lycée François-Arago de Perpignan, de la sixième jusqu’au baccalauréat (1961), fortement marqué par son professeur de philosophie de terminale, Jacques Rodier, puis en classes préparatoires au lycée Pierre de Fermat, à Toulouse (Haute-Garonne). Au lycée Arago de Perpignan, il apprit les langues anciennes, le latin et le grec, qu’il maîtrisait parfaitement et qu’il perfectionna à Toulouse et ne cessa de cultiver.
Puis, il fit ses études supérieures de philosophie à l’université de Toulouse jusqu’en 1967. Il suivit les cours des professeurs Robert Blanché (1898-1975), Georges Bastide (1901-1969), et de Gérard Granel (1930-2000) jeune professeur charismatique dont le cours sur les Manuscrits de 1844 de Karl Marx était très suivi. Ayant obtenu l’agrégation de philosophie en 1967, il fit sa première année d’enseignement au lycée Henri-Poincaré de Nancy, puis partit en coopération à Tunis. Pendant deux années (1968-69 et 1969-70), il fut professeur de philosophie à l’École nationale des professeurs-adjoints (ENPA) qui préparait les futurs professeurs de collège, des étudiants souvent très motivés. L’un d’entre eux, Noureddine Lamouchi, poursuivit ses études et devint un spécialiste universitaire reconnu de Jean-Paul Sartre. Bien qu’éloigné de la France, il fut très marqué par les événements de Mai 68, qu’il suivit par les journaux, Le Monde et Le Nouvel Observateur. Il pouvait aussi lire les revues, comme Les Temps modernes, à la bibliothèque du lycée Carnot de Tunis. Il découvrit également la biographie en trois volumes de Léon Trotsky par Isaac Deutscher et les œuvres de Trotsky récemment rééditées par les Éditions de Minuit : 1905, Lénine, Nos tâches politiques, L’Internationale communiste après Lénine. Il lut aussi Front populaire, révolution manquée de Daniel Guérin et La Révolution inconnue de Voline. Enfin, il fut passionné par Mai 68 : la Brèche, le livre écrit à chaud par Edgar Morin, Claude Lefort et Jean-Marc Coudray, sans savoir que sous ce pseudonyme se cachait Cornélius Castoriadis, dont l’œuvre le marquera profondément.
De retour en France, il fut nommé en septembre 1970 professeur de philosophie au lycée Dumont-d’Urville à Toulon (Var). Sans aucune expérience ni politique ni syndicale, il décida de contacter la Ligue communiste, le groupe qui lui paraissait le moins sectaire, tolérant en son sein l’existence de tendances. Il écrivit au journal Rouge et peu après il reçut la visite de Michel Samson, alors étudiant à Aix-en-Provence, plus tard journaliste à Rouge puis au Monde. Il fut mis en contact avec deux sympathisants locaux, Michel Jean et Roland de Martelaere, tous deux artisans en bois d’olivier, mariés, pères de famille et habitant en périphérie de Toulon. Michel Samson lui proposa de participer à un meeting international à Bruxelles contre l’intervention militaire américaine au Vietnam. Il fit donc partie des quelques 1100 militants de la LC qui rejoignirent leurs 2500 camarades belges, allemands, anglais, italiens, espagnols, suisses, à Bruxelles, les 21-22 novembre 1970 pour écouter Ernest Mandel et Tariq Ali, les leaders de la Quatrième internationale. Les cars ayant été arrêtés à la frontière, les militants furent fichés, ce qui valut à Jean-Louis Prat la visite d’un officier des renseignements généraux quelques jours après. Il en voulut à la Ligue pour une légèreté qu’il comprenait mal de la part d’une organisation qui se réclamait du parti bolchevik. Toulon, grand port militaire et ville dépourvue d’université, était une terre de mission pour la LC. Elle n’y avait aucune implantation et le maire Maurice Arreckx, un homme politique situé très à droite, membre de l’UDF-PR, ne facilita pas la tâche à la cellule de trois militants qui se forma au début de l’année 1971. Ainsi pour sa première réunion publique, une salle municipale leur fut refusée par le maire (Rouge n°138, 31 décembre 1971). Quant à la police, elle harcelait les militants. Ainsi, Jean-Louis Prat fut arrêté à une porte de l’Arsenal de Toulon alors qu’il distribuait des tracts du Secours rouge avec de jeunes sympathisants lycéens. Embarqués dans un fourgon de police, ils furent interrogés, photographiés, mais ne furent pas poursuivis devant les tribunaux. Le proviseur de son lycée, lui-même, le convoqua et lui signala que ses activités politiques étaient inappropriées pour un éducateur. Il fut même suspecté par les parents d’un élève d’être responsable de sa disparition momentanée, alors que celui-ci était tout simplement allé à un concert de musique pop. Malgré tout, Jean-Louis Prat continua à jouer le jeu. Ainsi, il fut délégué par ses camarades au IIe congrès de la LC qui se tint à Rouen les 29, 30 et 31 mai 1971. Il prit aussi la parole lors de réunions publiques, portant la contradiction ou posant des questions gênantes aux orateurs des partis de gauche, Michel Rocard, Raymond Guyot (PC) et même François Mitterrand] lors de la campagne pour les élections législatives de 1973. Puis arrivèrent à Toulon des militants de la région parisienne, « mieux rompus que nous au style national de l’organisation » (Blog de J.-L. Prat, 4 novembre 2013), Dominique Herman et sa compagne Anne Gerbe (aux pseudonymes pittoresques : Roméo et Juliette, puis Gatsby et Juliette). Le premier fut bientôt inculpé d’offense à chefs d’État, car au cours d’une manifestation contre l’intervention militaire américaine au Vietnam, avait été brandi un panneau portant : « Nixon assassin, Pompidou complice ». Bientôt la cellule passa de trois militants à une dizaine, auxquels s’ajoutaient les sympathisants des comités rouges. Malgré l’arrivée de Michel Clayeux, professeur de collège à la Seyne-sur-Mer, ville de chantiers navals située sur la rade de Toulon, candidat de la LC aux élections législatives de mars 1973, Jean-Louis Prat trouva bientôt ce militantisme très éprouvant. Les quelques réunions publiques que la LC avait fini par réussir à tenir rassemblaient un faible effectif, 70 personnes à la Seyne-sur-mer le 2 juin 1972 puis 150 personnes à Toulon le lendemain avec Alain Krivine. Et à chaque fois, les militants du PC, venus nombreux, intervenaient avec agressivité, créant un climat peu propice aux prises de contact éventuelles (Rouge n°161, 10 juin 1972, p.11). Cette appartenance à la LC ne l’empêcha pas de nouer des liens étroits avec René Merle, son collègue agrégé de lettres au lycée Dumont-d’Urville, un militant du Parti communiste, très engagé dans la défense de la culture occitane. De même, Jean-Louis Prat se sentait à l’aise dans le Groupe départemental (GD) de l’École Émancipée du Var (le GD 83), un groupe nombreux, actif et varié. S’y côtoyaient des militants de la LC, mais aussi des militants du PSU, de Lutte Occitane, des francs-maçons de la Ligue des Droits de l’Homme, des libertaires, des syndicalistes révolutionnaires, des électrons libres, écologistes de la première heure.En 1973, aux élections à la CA nationale du SNES, il faut présenté comme candidat au secrétariat de catégorie de agrégés.
C’est dans ce groupe qu’il fit vraiment la connaissance de celle qui allait devenir sa femme le 16 avril 1974, Janine, Régina, Marianne Cochet, née le 12 février 1943 à La Seyne-sur-Mer (Var) et décédée le 10 septembre 2012 à Perpignan. Sa famille était originaire du Guildo, proche de Saint-Malo et les hommes se répartissaient entre la Marine nationale et la marine marchande, d’où l’installation de certains à Toulon et La Seyne, avec ses chantiers navals. Son père était un marin breton —. Janine était institutrice spécialisée, ils eurent un fils, Erwan, né le 9 octobre 1975 à Perpignan. Jean-Louis Prat, ayant épousé une Bretonne, s’intéressa beaucoup à la Bretagne, où il prit l’habitude de passer plusieurs semaines chaque année, en particulier en été. Il n’avait pas manqué de faire le rapprochement entre deux nationalités dotées d’une forte personnalité, la Catalogne et la Bretagne.
C’est par un membre de l’ÉÉ, Pierre Borel, ancien militant de Socialisme ou Barbarie, qu’il découvrit l’œuvre de Castoriadis qui lui permit de surmonter le trouble occasionné par cette expérience militante insatisfaisante : « Ça a été le début […] d’une thérapie politique. À ce moment-là j’étais embarqué dans un groupuscule trotskyste, la LC. Cela m’a aidé à m’en défaire », expliqua-t-il dans un entretien avec François Dosse (Dosse, 2014, p. 490).
À partir de septembre 1973, il s’installa à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales), car il avait été nommé professeur de philosophie au lycée Pierre-de-Coubertin de cette ville, un lycée climatique situé à 1850 mètres d’altitude. Nommé ensuite au lycée Henri IV de Béziers (Hérault), ils louèrent, avec sa femme, un appartement près de la gare de Perpignan, ce qui lui permettait de rejoindre Béziers, située à 100 km de là, par le train, lui qui passa tardivement le permis de conduire et n’en fit pas usage. C’est là, en 1976, que Daniel Guerrier fit la connaissance de Jean-Louis Prat, se rapprochant des idées marxistes libertaires, en tant qu’abonné à Front libertaire des luttes de classes édité par l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) qui deviendra l’OCL. Puis au début des années 1980, il fut nommé au lycée Arago de Perpignan où il termina sa carrière d’enseignant en 2002. Il avait continué à militer jusqu’en 1976 à la section de la LCR de Perpignan, mais au cours des élections présidentielles de 1974, il se montra très intéressé par la campagne de René Dumont, le premier candidat écologiste. On peut dater ainsi son intérêt pour l’écologie qui ne cessera de s’affirmer par la suite. Cet intérêt fut nourri par les réflexions inspirées par l’œuvre – qu’il admirait — d’André Gorz qui, à partir de 1975, adhéra pleinement aux thèses écologistes.
Jean-Louis Prat s’investit surtout, jusqu’à la fin des années 1980, dans le groupe départemental (GD) de l’ École Émancipée des Pyrénées-Orientales et le militantisme au sein du SNES. Ainsi, en 1982, avec son GD, il fut un des organisateurs de la Semaine École Émancipée, la rencontre annuelle des militants venus de toute la France, à Enveitg (Pyrénées-Orientales), en Cerdagne. Il avait également été candidat aux élections municipales de 1977 à Perpignan, sur la liste « Pour le socialisme, le pouvoir aux travailleurs », une liste rassemblant des militants de la LCR, de la mouvance catalaniste progressiste (dont la tête de liste, le cheminot Pierre-Yves Baron (1942-2017), militant de la CFDT et de l’Esquerra catalana dels treballadors) et des militants d’extrême gauche non encartés, dont de nombreux syndicalistes, comme Jean-Louis Prat ou André Balent. Cette liste portait une série de revendications régionalistes, demandant notamment que les autorités se soucient davantage de l’enseignement de la langue catalane et de la diffusion de la culture catalane dans la presse écrite et audiovisuelle. Il avait pris très au sérieux sa candidature, il demanda à l’Éducation nationale le congé de 15 jours auquel il avait droit pour mener campagne. Il y avait des listes unitaires de ce type, associant habituellement la LCR, LO et l’OCT, dans une trentaine de grandes villes de France. À Perpignan la liste obtint 2,90 % des suffrages exprimés. Ayant appelé à voter pour la liste d’Union de la Gauche au second tour, les militants d’extrême gauche menèrent une campagne active, parallèlement à celle des militants de gauche, ne parvenant pas à éviter la réélection de Paul Alduy à la mairie de Perpignan.
Tous ceux qui l’ont connu témoignent de sa grande culture. Ainsi, raconte Jean-Daniel Bezsonoff-Montalat, lors d’une excursion en Andorre, il lui expliqua « dans les moindres détails » les différences entre les dialectes du grec ancien, l’ionien et l’attique, le dorique et l’éolien, qui finirent par se combiner pour donner naissance à la koiné, la langue véhiculaire de la Grèce ancienne (L’Indépendant, 11 avril 2021, article en catalan). Mais il était capable, aussi, d’écrire sur le cinéma japonais ou sur l’histoire de la Louisiane ou sur Georges Brassens qu’il admirait depuis son enfance, dont il connaissait les chansons par cœur. Les 247 articles de son blog, jeanlouisprat.over-blog.com, témoignent de cette curiosité. Il avait été introduit dans le MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales) par son collègue et ami Jean-Luc Boileau, ancien élève d’Alain. Il participa aux rencontres d’été du MAUSS dans les années 1980. C’est là qu’il fit la connaissance de Serge Latouche, professeur d’économie à l’université d’Orsay et principal théoricien de la décroissance. Ils devinrent très amis. Serge Latouche l’introduisit aux éditions La Découverte, où Jean-Louis Prat publia en 2007 une Introduction à Castoriadis dans la collection "Repères", fruit de nombreuses années de recherches. Cet ouvrage, traduit en plusieurs langues, réédité et enrichi en 2012, connut un beau succès. Il travailla et annota pour un éditeur espagnol Démocratie et relativisme, qui reprend le débat entre Cornelius Castoriadis et le MAUSS, un ouvrage traduit par les éditions Mille et Une Nuits en 2010, ouvrage de référence souvent cité. Le même éditeur a publié sous le titre Xénophon, l’Anabase, le texte d’Hypolite Taine, avec la préface et les commentaires de Jean-Louis Prat. Des publications qui lui apportèrent de belles satisfactions.
Jean-Louis Prat maniait parfaitement la langue catalane – sur son blog, nombre de ses écrits dans cette langue en témoignent. De plus, il n’avait pas hésité à prendre un congé de formation de six mois, en 1997, pour préparer un Diplôme d’études approfondies (DEA) d’études catalanes sous la direction de Gentil Puig Moreno à l’Université de Perpignan-Via Domitia (UPVD). Le mémoire consacré au philosophe catalan Joan Crexells (1896-1926) lui permit d’obtenir la mention Très Bien. Son amour du catalan le poussa à soutenir, avec Jeanine, dès 1975, la Bressola, école alternative, immersive et laïque, dans laquelle ils inscrivirent leur fils Erwan. Avec sa femme ils prirent des responsabilités dans la gestion et la marche de l’école, Jeanine assurant dans les premiers temps bénévolement la surveillance de la cantine. Il eut aussi un rôle de passeur, mettant en contact Serge Latouche et Santiago Vilanova, militant de Catalogne-Sud, créateur de l’association « Una Sola terra », député Els Verds-Alternativa verda au Parlement de Catalogne. Prat organisa un colloque à Saint-Michel-de-Cuixà (Taurinya, Pyrénées-Orientales) réunissant Catalans du Nord et Catalans du Sud, dont tous gardaient un magnifique souvenir. Son engagement pour la Catalogne l’amena à nouer des liens d’amitié très forts avec Nicolas Garcia, maire communiste d’Elne — réélu en 2020 — et conseiller départemental des Pyrénées-Orientales, très engagé, à partir de 2017 dans la lutte pour la libération des prisonniers politiques de Catalogne sud. Jean-Louis Prat appréciait les études d’Emmanuel Todd, pour qui le rôle des structures familiales était fondamental dans la formation des comportements collectifs, des idées politiques et religieuses. Cependant, il ne voulait pas limiter la formation de l’identité catalane à l’influence de la seule « famille souche ». Plutôt que de « nationalisme catalan », il préférait parler de « nationisme », un concept développé par le grand penseur valencien Joan Fuster (1922-1992) (Prat, 1997, op. cit.). Il co-édita (édition critique avec notes infra-paginales) avec un groupe des Amis de Jean Rous un texte, précédemment publié de façon confidentielle, de cet auteur, préfacé par Pierre Chevalier, son biographe. Jean Rous, catalaniste convaincu, connaissant la problématique d’une communauté culturelle sans cadre politique institutionnel et luttant pour sa survie, comprit mieux les combats de la décolonisation qu’il a soutenus après la Deuxième Guerre mondiale.
Jean-Louis Prat ne cessa de s’intéresser à l’actualité politique et sociale, participant à Perpignan aux grandes manifestations de l’automne 1995, et de nouveau en 2003. Il adhéra, pendant deux ou trois à l’ERC (Esquerra republicana sde Catalunya), parti historique sud catalan qui avait pris un tournant résolument favorable à l’indépendance de la Catalogne et avait organisé une « section » en Catalogne du Nord (les Pyrénées-Orientales). Toutefois, lors d’une réunion régionale nord-catalane de l’ERC, à la fin de 2004 ou au début de 2005, il fit, en interne, une critique de sa ligne politique, lui reprochant d’être, en substance, une « antenne » de Barcelone. Dans la foulée, il faisait état de sa démission du parti.
Ses interventions pertinentes, son absence d’arrogance, son calme, sauf s’il était question de l’indépendance de la Catalogne », notait avec tendresse son ami Serge Latouche, charmaient son auditoire. Il pouvait aussi interpréter les chansons de Brassens, en faisant rouler les r, un artiste — « le macho bien aimé », ainsi l’appelait-il —, à qui il a consacré plusieurs articles éclairant sous un jour philosophique les œuvres du poète. Ses amis lui ont fait leurs adieux le 16 mars 2021 par un après-midi de soleil et de tramontane, accompagnés par les voix de Brassens (Brave Margot), de Claude Marti (Le temps des cerises, en occitan) et de Lluis Llach (Venim del Nord, Venim del Sud, en catalan), et la musique version jazz de Au bois de mon cœur, une chanson de Brassens. Il était adhérent aux Associations des Amis de Robert Rius (qu’il avait découvert sur le tard) et de Jean Rous. Une Association des Amis de Jean-Louis Prat a été constituée en janvier 2022, à Elne, dans le but, notamment, de publier ses textes.